21 heures de navigation entre Saint Vincent et la Martinique

Départ de Bequia, dans les Grenadines

 

Dernière étape pour atteindre la Martinique, quitter Bequia dans la matinée après avoir obtenu notre papier de sortie, pour effectuer les quelques milles qui nous séparent de l’île française. Avec un passage le long des côtes de Saint Vincent et de Sainte Lucie. Une question se pose avant de partir : «  On passe sous le vent des îles ou au vent ? »

La première option semble être la plus tranquille, il y aura sans doute moins de vagues et pas de courant contraire (ce qu’on a eu jusqu’ici pour remonter les Petites Antilles). Par contre, le vent sera instable voire quasi inexistant derrière les reliefs. La seconde option nous promet une navigation plus régulière, au près, avec un vent fort mais stable. Par contre, la houle sera celle de l’Atlantique, plus forte, et le courant nous poussera vers les îles.

Comme j’appréhende un peu cette navigation, je penche pour la première solution. Eh oui, le près n’est pas mon allure préférée… Le bateau gîte, ce n’est guère confortable, on ressent plus le vent donc les conditions sont plus impressionnantes. Je ne suis pas encore suffisamment habituée pour partir sereinement. Le seul point positif, c’est que je ne suis pas malade, le bateau ne roule pas au près, ou peu. Il tape dans les vagues par contre, ça peut être bruyant et inconfortable, mais ça ne me rend pas malade.

On part tranquillement de Bequia, et nous ne sommes pas les seuls ! Beaucoup de monde a décidé de partir aussi vers le nord. Et tous les voiliers passent sous le vent ! Damien se résigne, nous passerons aussi le long de la côte ouest de Saint Vincent.

Anaïs sur le pont de Manwë au large de l'île de Saint Vincent.

 

Saint Vincent par la côte ouest

 

Peu de distance entre Bequia et Saint Vincent, nous n’avons même pas le temps de ressentir dans le canal les effets de la houle du large. On avance bien, on passe plutôt rapidement derrière la pointe de l’île. Et c’est là que les doutes de Damien se confirment ! Le vent tombe, il tourne dans tous les sens, les voiles battent… Je le vois soupirer et même si je sais qu’on avancera certainement moins vite, je me sens quand même plus rassurée d’un côté. Manwë ne gîte plus, on avance quand même un peu, ça devient même plutôt agréable à bord. Comme au mouillage quoi !

Sauf que finalement, le vent finit par ne plus souffler du tout. Et on aimerait arriver en Martinique le lendemain matin ! Il faut donc se résigner à allumer le moteur. Le paysage escarpé et verdoyant de Saint Vincent défile pendant ce temps sous nos yeux. L’île semble tellement sauvage ! A part la capitale au sud, Kingston, où les immeubles, chantiers et hotels s’étalaient le long de la côte, le reste de l’île ne laisse pas apparaître beaucoup d’infrastructures. Les reliefs montent bien haut, la végétation est préservée, c’est tout simplement magnifique ! Et ça rend encore plus triste de savoir que cette île est plutôt délaissée par les touristes. Cas de vols, de piratages, rumeurs, on entend beaucoup de choses et ça ne donne pas trop envie. C’est vraiment dommage, les petites baies s’enchaînent et les bateaux sont vraiment peu nombreux au mouillage.

En passant devant les plus connues et les mieux abritées, Wallilabou Bay et Cumberland Bay, quelques barques (à la rame ou au moteur), chacune leur tour, viennent à notre hauteur et les locaux nous demandent de venir mouiller justement dans l’une de ces baies. Ils insistent un peu trop même, malgré notre refus. Ils tournent autour du bateau, nous relancent… et finissent par aller voir le voilier suivant. On comprendra pas la suite grâce à notre guide nautique que pour mouiller dans ces criques, il faut mettre l’ancre puis reculer vers la plage et attacher une amarre à un cocotier. Et généralement, c’est un local qui s’occupe de ça, cherchant sans doute quelques dollars à la clé…

Le plus beau de notre navigation au large de Saint Vincent sera la vue sur le volcan de La Soufrière au nord-ouest. Décidément, c’est vraiment les mêmes noms partout dans les Caraïbes ! Sa dernière éruption date de 1979 et ses pentes et son cratère sont maintenant recouverts d’une fine végétation verte claire. Le volcan tombe presque dans l’eau, c’est impressionnant ! On apprend aussi qu’il n’y a pas de route pour le contourner, et ni pour faire le tour de l’île à cause de sa taille. Pour aller d’est en ouest, il faut à chaque fois redescendre vers le sud. Ce qui le rend encore plus sauvage, car on ne voit vraiment aucune habitation sur ses flancs ou aux alentours.

Navigation au large de l'île de Saint Vincent. La côte ouest de Saint Vincent, avec ses reliefs et sa végétation. La Soufrière, le volcan de Saint Vincent, au nord-ouest de l'île.

 

Nuit au large de Sainte Lucie

 

On peut enfin éteindre le moteur une fois entrés dans le canal entre Saint Vincent et Sainte Lucie. Plus de distance déjà entre les deux îles : une bonne vingtaine de milles. En fait, on ne voit même pas notre destination ! Ça ne rassure pas sur le temps qu’on va mettre. Ce que j’aime bien au moins par ici, c’est qu’on voit toujours notre but (l’île suivante) même si parfois, il ne semble pas s’approcher bien vite.

Plus de distance entre les îles donne malheureusement plus de houle… Le bateau tape dans les vagues mais file plutôt rapidement. On conserve une bonne avance sur le fond, même si on ressent un peu les effets du courant est-ouest. Pour le moment en tout cas, nous sommes dans la moyenne haute par rapport aux estimations de Damien, afin d’arriver au lever du soleil en Martinique. Il vaudrait mieux même ne pas accélérer pour ne pas arriver de nuit !

Sainte Lucie arrive enfin alors que la nuit tombe. Là encore, on se pose rapidement la question de passer sous le vent ou au vent. Mais avec notre bord, on ne passera pas le cap à l’est, et hors de question de virer de bord, on perdrait trop à cause du courant. Ce sera donc sous le vent, avec les mêmes conditions de vent bien capricieux. Ce qui veut dire moteur à certains moments. Avant que l’obscurité s’intensifie autour de nous, on a le temps d’apercevoir la fierté de l’île, les Deux Pitons : deux énormes montagnes type « pain de sucre » à la pointe sud-ouest. Apparemment, le mouillage à leurs pieds vaut vraiment le détour !

 

Arrivée au Marin en Martinique au petit matin

 

La navigation de nuit s’enchaîne avec nos quarts. Au moins, je n’ai pas peur, c’est sûr que les conditions sont tranquilles, abrités par l’île. Il nous reste encore un canal à passer (20 milles) pour rallier la Martinique. Il est plus petit, on arrive vite sous la pointe sud de l’île. Plutôt que de virer de bord pour nous diriger dans l’axe de la passe du port du Marin, on préfère allumer le moteur pour les quelques milles qui restent. Là encore, on perdrait beaucoup en temps et en distance. Il fait encore nuit, le soleil tarde à se lever. Le chenal est balisé par les bouées rouges et vertes (inversées d’ailleurs par rapport à la France) mais il nous faut quand même bien surveiller notre avancée. Il ne s’agirait pas de s’échouer sur un banc de sable au petit matin. Une fois dans le Cul-de-Sac du Marin, on mouille sur la gauche. On est pas les seuls dans cette baie, dis donc ! Mais c’est une vraie plaque tournante ici, on s’y attendait.

La baie du Marin au sud de l'île de la Martinique. Mouillage du Marin en Martinique.

Note : Le surlendemain matin, on se fera déloger (gentiment) par les Affaires Maritimes car au final, on a mouillé dans un chenal ! Pour notre défense, beaucoup de bateaux étaient déjà présents dedans. Difficile de repérer les bouées rouges et vertes de ce chenal secondaire. On bouge aussitôt, heureusement, pas trop loin et plus près d’ailleurs des marinas.

Notre premier objectif une fois descendu du bateau est de filer remplir nos formalités. Eh oui, même en Martinique, donc même en France, quand on y arrive en voilier, il faut faire des papiers d’entrée (et de sortie) et en plus, ce n’est pas gratuit (propre au Marin) !

Une fois cette mission remplie, on visite un peu la marina. Elle est divisée en deux parties, une plus récente que l’autre. Et les pontons sont bien remplis ! Bateaux de particuliers, bateaux de location, on dirait bien que c’est plein. Là, je garde les yeux grand ouverts, shipchandlers, magasins de réparations en tout genre, bars, restaurants, presse et quelques boutiques de vêtements, pfff, quel changement !:) On a envie de rentrer partout, de profiter de toutes ces opportunités qu’on n’a plus trouvé depuis les îles Canaries (et encore…).

Mais d’abord, penser aux travaux sur Manwë. Il faut installer les panneaux solaires, si possible avant que Morgane, la sœur de Damien n’arrive. Elle atterrit samedi, pour une semaine de vacances ici, avant que les parents de Damien n’arrivent à la fin de la semaine suivante. On est mardi, on a juste quelques jours devant nous. Au programme donc : s’occuper des panneaux solaires, se ravitailler un peu, aller chez le médecin (je vous en parlerai dans un prochain article, rien de grave mais on profiter d’être sur un territoire français!), obtenir un RDV pour faire réviser le moteur (révision des 5 ans obligatoire…). Bref, on a du pain sur la planche.

 

Ô joie, on trouve de tout ici !

 

En tout cas, nos premières courses ici nous raviront ! Déjà, on peut accéder en annexe au supermarché le plus proche de notre mouillage, Leader Price. Un ponton est fait exprès juste à côté du bâtiment, près du chantier de carénage. Trop pratique ! A l’intérieur, on est comme des gamins, on retrouve tellement de choses qu’on croyait presque avoir oubliées ! Pain de mie, baguette (même si elles ne sont pas excellentes, tout nous convient de toute manière), yaourts, desserts, céréales, gâteaux en tout genre… Mais surtout, du fromage ! De la viande ! Des tablettes de chocolat ! On ne peut pas tout acheter, on n’a pas encore de frigo opérationnel. Mais on salive dans les rayons, on court presque partout, on s’émerveille. De vrais gosses, vraiment ! On repart avec quelques saucisses, de l’emmental râpé et un camembert. Aucune marque connue (on n’a pas l’habitude de Leader Price mais peu importe). Quel régal au bateau le soir même ! On s’achète aussi une galette des rois pour le plaisir sucré, on ne pensait même pas en trouver ce mois-ci !

Refaits, ravis, on sait désormais qu’on trouvera de quoi se sustenter sur l’île. Ça nous manquait, vraiment, ce choix de nourriture. On s’habituait, les îles visitées précédemment offraient beaucoup de fruits et légumes par exemple. Mais on avait tiré une croix sur la viande (à part le poulet un peu), le fromage, le chocolat… Au fur et à mesure, on comprend qu’il n’y a pas que dans le domaine de l’alimentation qu’on sera satisfait. Tout plein de petites choses nous font revenir aussi 6 mois en arrière. 6 mois ce n’est pas énorme encore, mais on a eu le temps déjà de découvrir plusieurs cultures et de penser que la France, c’était bien loin désormais.

Un matin, j’entends les cloches de l’église voisine sonnaient… Et ça me fait réagir, ce bruit ! C’est comme une mini madeleine de Proust, un mini souvenir qui remonte à la surface. Rien à voir avec le fait de fréquenter des églises, je ne suis pas croyante. Mais la maison de mes parents dans mon village d’enfance est située non loin de l’église, entendre les cloches sonner faisaient partie du quotidien. Ce son chante donc à mes oreilles. Sur les autres îles, c’étaient des églises anglicanes la plupart du temps, je n’y connais rien mais peut-être sonnent-elles moins souvent… Où nous n’étions pas si près.

On comprend assez rapidement en tout cas la différence entre une île département, qui « appartient » à une métropole, par rapport à une île indépendante. On retrouve nos marques, on n’est plus dépaysé ici. C’est bien la France au final, de l’autre côté de l’Atlantique. Ça nous rassure dans un premier temps puis moi, ça me fait un peu peur. Je suis tentée par tellement de choses du coup, je me dis que je vais retrouver tout ce que j’aime (en nourriture, en sorties, en boutiques…) et on n’a pas un budget illimité, loin de là. Au moins, sur les îles où il n’y a rien, on est tenté… ben, par rien !:)

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