Notre retour vers l’est continue. Après Bora Bora (et un arrêt technique sur place), nous voici en route pour le double lagon de Raiatea-Taha’a. Un stop plus ou moins rapide, tout dépend du temps, qui ne semble pas rassurant autour de nous. Après, ce sera Huahine, nous attendons des amis sur l’île et nous espérons y fêter Noël à deux, paisiblement à bord.
Quand la saison des pluies démarre (et fort)
Nous avons quitté Bora Bora sous un ciel nuageux, et les conditions météo ne se sont pas améliorées par la suite. Lorsque nous entrons par la passe Paipai à l’ouest de l’île de Taha’a, on ne voit même pas Raiatea, à pourtant 5 milles de là. On part se réfugier dans la baie d’Apu, bien abritée du vent. Évidemment pas des intempéries. La pluie semble interminable. Pas de doute, la saison a commencé !
Rien d’envisageable à terre. Les deux îles étant réputées pour leurs randonnées, autant dire que ce n’est pas le moment. Même pendant les brèves éclaircies, les sentiers doivent être impraticables. Nous décidons de tenter une première sortie vers Huahine, après un bref stop au mouillage, sur bouée, devant Uturoa. Le lagon au nord-est de Raiatea a pris une couleur marron peu engageante. Les rivières se sont déversées de toute part, charriant feuilles de palmes, noix de coco et même troncs d’arbres, dont il faut prendre garde.
Nous arrivons en vue de la passe Te Ava Piti et les monstrueuses vagues qui y entrent de face, additionnées au courant, nous dissuadent rapidement de continuer notre navigation. Je n’ai aucune envie de me faire brasser sous la pluie pendant des heures et rien que la traversée de cette passe m’effraie. Moroses, nous rebroussons chemin. Mais pour aller où ? Le motu Taoru juste au sud de la passe semblait abrité mais le courant est si fort près de son rivage que cela ne nous rassure pas de mouiller ici.
Retour dans la baie d’Apu, dépités, nous devons patienter. Combien de temps ? Les conditions extérieures vont-elles se calmer ?
C’est quand la saison des pluies en Polynésie française ? |
Située entre les latitudes 7°51 S (Marquises avec Motu One) et 27°38 S (Australes avec Rapa), donc aux alentours du Tropique du Capricorne (23°26 S), la majorité des îles de Polynésie française sont soumises à deux saisons dans l’année. La saison sèche, dite sûre, de juin à octobre et la saison humide, dite cyclonique, de novembre à mai. La saison humide, saison des pluies, correspond donc à l’été. Les températures grimpent et les précipitations aussi. Les tempêtes cycloniques tant redoutées se forment majoritairement durant cette période, surtout entre décembre et avril. Quand nous naviguions aux Petites Antilles, nous y étions pendant la saison sûre, de décembre 2017 à juin 2018. La saison cyclonique est aussi pendant l’été là-bas (donc de juin à novembre, inversée car c’est l’hémisphère nord). Pendant cette période, nous nous étions réfugiés au Guatemala, pays certes sujet aux précipitations mais en dehors de la route des cyclones, qui peuvent être nombreux et virulents sur l’Atlantique nord. Alors comment ça se passe pour la Polynésie française ? Les différents archipels de Polynésie française ne subissent pas les mêmes variations météorologiques au cours de l’année. Les Australes par exemple sont situées au sud, entre les latitudes 21°47 S (Maria) et 27°38 S (Rapa). Ces îles sont encore considérées comme tropicales mais bénéficient d’un climat différent, plus tempéré. Elles restent néanmoins sur la route des cyclones. Les Marquises, elles, sont beaucoup plus proches de l’équateur. Elles s’étendent sur un axe sud-est / nord-ouest, entre les latitudes 7°51S (Motu One) et 10°32 S (Fatu Hiva). Elles se situent donc dans un climat équatorial, les saisons sont moins marquées. Les pluies y sont variables d’une année sur l’autre et même d’une île à l’autre. Elles sont en dehors de la zone cyclonique, il s’agit du seul archipel où on peut officiellement se sentir serein et laisser son bateau sans souci durant la saison. Les archipels des Tuamotu et de la Société, eux, peuvent être menacés par les cyclones, qui se déplacent depuis l’ouest de l’océan. Mais cela fait plusieurs années que Tahiti et ses îles n’ont pas été touchées. Nous avons donc considéré que nous pouvions rester dans les parages sans trop de craintes. Il existe aussi des trous à cyclone pour se protéger en cas de danger (même si nous n’avons évidemment pas envie que cela nous arrive), comme la baie d’Apu à Taha’a, la baie de Port Bourayne à Huahine et la baie de Phaeton à Tahiti. Pour ce qui est de l’ambiance générale dans les îles (attention, je parle bien de la Polynésie française et pas des autres archipels plus à l’ouest, où là le risque augmente), on se tient au courant mais personne n’en parle vraiment ni n’a l’air d’avoir peur d’un éventuel ouragan. Rien à voir avec la saison cyclonique des Petites Antilles ! |
Navigation humide entre Raiatea et Huahine
Allez, on se motive, on recommence quelques jours plus tard. Départ à 8h30 de la baie d’Apu, nous visons une sortie par la même passe, Te Ava Piti, qui se révèle heureusement plus calme. Huahine devrait se trouver face à nous, à une vingtaine de milles, mais on ne la distingue pas du tout à travers le rideau de pluie qui nous entoure. Le vent souffle par rafales, entre 10 et 25 nœuds, et pour ne rien arranger, il vient de l’est, donc face à nous. Nous devons tirer des bords au près, le bateau gîte fortement et se fait secouer dans les vagues. Mon mal de mer commence à s’immiscer, j’avais pourtant anticipé avec un cachet. Mais les conditions sont réunies pour qu’il persiste. Je pars m’allonger, mais à peine suis-je installée que je me dis, dans la chaleur étouffante de la cabine, ballottée de toute part : « autant rester dehors, quitte à barrer en regardant l’horizon, ça ne peut pas être pire ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait, je m’assoie sur le côté, attrape la barre et garde Manwë sur sa route. La pluie qui me fouette le visage, contre toute attente, me fait penser à autre chose et mon mal de mer se dissipe. Les nuages noirs se succèdent, la pluie se fait torrentielle, on peine à garder les yeux ouverts. Il nous faudrait presque un masque de plongée ! Nos pantalons et vestes de quart, pourtant de bonne qualité, ont cédé sous ces flots d’eau douce tombés du ciel, nous sommes trempés jusqu’aux os.
Avec les vagues de face qui nous ralentissent, nous avançons sous voiles mais assurons aussi au moteur pour garder notre cap. Sinon, nous allons mettre des heures à rejoindre Huahine, et nous n’avons qu’une envie, arriver dans le lagon le plus vite possible ! Nous alternons entre génois et trinquette en fonction de notre allure. C’est sportif toutes ces manœuvres ! Entre les tours de winchs et les allers et retours à l’avant pour gérer les voiles.
C’est au dernier moment, juste avant la barrière de corail, que nous apercevons enfin la côte de Huahine. Avec soulagement, nous entrons par la passe Avapehi pour aller jeter l’ancre devant Fare. Il est 14 h 30 et nous pouvons souffler un peu. La pluie ne s’est pas calmée mais nous sommes désormais protégés du vent devant la ville principale de l’île. Ces 30 milles parcourus au total n’auront pas été de tout repos !
Saison sèche vs début de saison des pluies en Polynésie française
Nous allons vivre notre première vraie saison cyclonique à bord. Précisons au mouillage car nous en avons déjà vécu une au Guatemala mais nous étions alors au sec dans un chantier.
Nous avons eu de la chance jusqu’à présent, avec une saison sûre plutôt bienveillante dans cette région du Pacifique sud. Sans surprise, beau temps et alizés établis (avec quelques jours de vent fort de sud-est, le mara’amu, mais c’est habituel) pour naviguer des Marquises en avril jusqu’à Tahiti en septembre, en passant par les Tuamotu.
Puis, après un passage à Tahiti et Moorea, nous avons navigué au sein des Îles sous le Vent jusqu’à Maupiti. Nous avons débuté officiellement la saison des pluies dans cet archipel. Et je l’avoue, je l’appréhende un peu. Non pas en raison des cyclones (on n’y pense pas tant que ça finalement) mais plus en raison du mauvais temps annoncé. Après tout, si les îles de la Société sont aussi verdoyantes, ce n’est pas pour rien, non ? D’après certains, le pire mois en terme de climat serait le mois de décembre, d’après d’autres, ce serait février. J’avais peur surtout quand mes parents sont venus nous voir fin octobre, à la transition des saisons. Tout peut arriver ! Heureusement, leur séjour fut très agréable, un peu de pluie vers la fin mais rien de bien dérangeant.
Pas de souci non plus en novembre pour nous, passé sur Bora Bora puis Maupiti. En revanche, en décembre, ça se corse, comme vous avez pu le voir !
Mouillages devant Fare : Noël pluvieux, Noël heureux !
Nous avons décidé de passer Noël ici, c’est en effet plus pratique pour nous prévoir un bon petit repas, avec le supermarché bien fourni du centre-ville. Également pour pouvoir se connecter au réseau Vini. Car si on descend vers le sud, que ce soit à Port Bourayne ou dans la baie d’Avea, on ne reçoit pas internet. Impossible donc d’appeler sur Whatsapp nos familles, en ces jours de fêtes de fin d’année où on apprécie quand même d’avoir quelques nouvelles:)
Il y a deux zones de mouillage devant la ville. La première se situe à l’entrée de la passe Avamoa. La zone – position 16°42.762’ S 151°2.356’ W – comprend 3 à 4 bouées ainsi qu’un petit espace pour mouiller sur son ancre, dans 5 à 10 m de profondeur. Attention, le sol consiste en une dalle qui n’est pas de très bonne tenue.
La seconde zone de mouillage se situe entre les deux passes, sur le banc, position 16°43.298’ S 151°2.489’ W. On y accède facilement par la passe Avapehi. On mouille soit dans peu de fond, environ 2 m sur un plateau de sable, soit dans 4 à 5 m si on s’écarte un peu.
Note : Il y avait une zone encore plus pratique, plus près du village : sur le début du banc de sable, entre la cardinale est et la perche verte du chenal. Désormais, c’est un endroit protégé par le PGEM.
A bord, les décorations sont de sortie. Nous trimballons depuis notre départ des guirlandes lumineuses, minuscule sapin en bois, boules de Noël, cartes postales et autres petits objets qui ne prennent pas trop de place. Le bateau prend des airs de fêtes, surtout avec la guirlande spécialement amenée par ma mère lors de leur séjour quelques semaines plus tôt. Elle m’a confectionné en effet un calendrier de l’Avent maison, 24 petites surprises emballées séparément, à ouvrir jusqu’à Noël.
Week-end dans la baie de Port Bourayne
La baie de Port Bourayne se situe à peu près au milieu de Huahine, sur la côte ouest. Il s’agit d’ailleurs de la baie qui se trouve entre les deux îles – Huahine Nui et Huahine Iti – et qui se ferme par un pont. On y accède via le chenal qui longe le lagon.
La baie est beaucoup trop profonde pour pouvoir s’y ancrer. Il y a quelques bouées disséminées çà et là. Elles étaient quasiment toutes libres (et gratuites) lors de notre passage mi-décembre mais en haute saison, il est possible qu’elles soient prises d’assaut voire réservées pour les charters. On a pris une bouée au sud, près du motu Vaiorea, position 16°46.935’ S et 151°1.669’ W.
Le week-end d’avant Noël, nous avions invité à bord un couple d’amis de Tahiti, Vlad & Ondine, rencontrés sur l’atoll d’Apataki aux Tuamotu. Heureusement que ça fait plus d’un an qu’ils sont ici et qu’ils ont déjà expérimenté une saison des pluies ! Ils ne sont donc pas étonnés du temps ambiant et on arrive à se trouver quelques occupations à bord, dans l’eau et sur l’eau.
A un moment, nous apercevons une maison flottante qui vient s’amarrer sur une bouée, sorte de grosse pirogue double traditionnelle surmontée d’une habitation. Vlad & Ondine connaissent le propriétaire Teiki ainsi que sa femme (pour avoir logé sur cette fameuse maison en Airbnb). Nous avons donc été invité à bord pour discuter : c’est amusant de se retrouver sur une plateforme en bois, équipée d’un gros moteur hors-bord, avec chambres, salon et cuisine ! Nous avons même eu l’occasion de naviguer avec eux sur une centaine de mètres car ils changeaient de bouée. Une expérience qu’on ne revivra pas de si tôt, avancer sur l’eau avec une maison:)
Note : Il se peut donc (nous n’avons pas demandé) que certaines bouées soient leurs propres corps-morts. Mieux vaut leur demander la permission avant de s’y amarrer, s’ils se trouvent dans les parages.
Pour la petite histoire, Teiki et sa femme ont construits de leur main cette belle pirogue et vivaient auparavant dans le lagon de Tetiaroa, au nord de Tahiti. L’atoll appartenait déjà à Marlon Brando (depuis 1966) mais n’avait pas encore son hôtel ultra luxueux sur place, The Brando, que ses descendants ont ensuite mis en place en 2014. L’accès devenant de plus en plus restreint, Teiki a été contraint de partir… Il a alors emmené sa pirogue jusqu’à Huahine. On est surpris que cette embarcation ait pu naviguer sur l’océan, il nous raconte son aventure en expliquant qu’il avait même ajouté un mât !
Et la passe praticable Farerea à l’est ?
Nous avons pu tester plusieurs mouillages autour de Huahine jusqu’à présent mais nous n’avons pas encore pratiqué la passe Farerea à l’est, ni ses mouillages avoisinants. Il faut en effet ressortir du lagon devant Fare, faire le tour de l’île, pour rentrer à nouveau par Farerea à l’est. Nous avons entendu dire que cette passe offre peu de mouillages, on se retrouve vite bloqué par les coraux.
Note : La passe au sud, près du motu Ara’ara, n’est pas praticable en voilier. Pourtant, ça aurait été bien pratique pour rejoindre la baie d’Avea plus rapidement !
Après Huahine, c’est quoi la suite ? Nous venons de terminer notre périple au sein des Îles sous le Vent. Retour prévu sur Moorea dans les prochains jours ! Une navigation d’au moins une nuit qui ne nous enchante guère, car normalement face au vent. Espérons que nous saurons trouver le bon timing pour nous lancer !
Merci beaucoup pour ce beau récit vivant, nous avons l’impression d’être nous aussi à bord !
Merci à vous de nous lire 🙂