Nous avons atteint le point le plus à l’ouest de Polynésie française. Pas tout à fait (il reste deux ou trois îles encore) mais pour nous, ce sera bien celui-là : la jolie petite île de Maupiti. Il est temps de revenir tranquillement sur nos pas, vers l’est, à travers l’archipel des Îles sous le Vent. Nous projetons d’aller fêter Noël à Huahine mais entre-temps, pourquoi ne pas profiter à nouveau sur le chemin ?
A vrai dire, c’est également pour économiser les heures de navigation que nous repassons par chaque île sur notre route. En ligne direct, Maupiti et Huahine, c’est 75 milles. Ça se fait mais pas sur une seule journée. De toute manière, les autres îles se situent vraiment entre les deux : nous ne pouvons nous y rendre en ligne droite, nous serions obligés de les éviter. Alors, autant s’y arrêter, ne serait-ce que brièvement.
Premier stop donc depuis Maupiti : la belle Bora Bora. Nous la connaissons bien désormais, pour y avoir passé déjà plusieurs jours, notamment en compagnie de nos amis de Phoenix. A peine revenus sur le lagon, nous filons mouiller derrière leur voilier, à l’est de l’île, entre hôtels de luxe et motu verdoyants.
Nous tenterons un nouveau mouillage également durant ce séjour : celui qui se situe au sud-est du lagon. Il est envahi par de nombreuses bouées mais nous jetons l’ancre un peu en arrière de la zone. Nous verrons bien si le responsable de ces bouées viendra nous dire quelque chose ou non. Le coin est sympathique mais ne présente pas un grand intérêt. Les plages qui bordent le vaste motu en face sont normalement privées, réquisitionnées par les quelques pensions qui s’y trouvent. Nous sommes loin en annexe de l’île principale, notamment pour aller profiter de la grande plage réputée au sud : la plage Matira.
Note : Il est désormais interdit de mouiller devant cette plage. C’était autorisé avant mais d’après des rumeurs, un voilier peu respectueux des autres et de l’environnement aurait fait (très) mauvaise impression aux locaux. Ces derniers auraient donc milité pour interdire l’accès aux bateaux à cette zone.
Non, le seul point fort de ce mouillage à nos yeux, c’est sa proximité avec le spot de kitesurf. Comme nous l’avons expliqué dans notre article « Que faire sur le lagon de Bora Bora depuis son voilier« , à l’extrémité sud du motu Piti aau, on trouve encore un bout de plage publique, d’où il est possible de décoller son aile. Le lagon est souvent bien ventilé à cet endroit. Pas de chance pour nous, quand nous nous y rendons en annexe, le vent – qui était présent aux abords de notre voilier – est ici mal orienté et la plage complètement déventée. Nous rebroussons chemin, revenant à bord de Manwë. Damien ne s’avoue pas vaincu, puisqu’il gonfle tout de même notre aile de 7m² derrière la jupe du bateau. C’est parti pour quelques sessions dans 20 nœuds de vent ! Sportif mais toujours sympathique. Plus besoin de s’embêter à dénicher un spot judicieux, Damien maîtrise à la perfection (enfin, presque) le départ direct du bateau.
Ah ! n’oublions pas de mentionner un autre spot intéressant depuis ce mouillage, cette fois-ci un spot de snorkeling. Il se situe juste entre le motu Piti uu uta et le motu Piti uu tai. La visibilité est excellente et comme les bateaux d’excursion s’y rendent régulièrement, les poissons sont vite attirés par les nageurs, en quête de nourriture. Nous n’apportons rien avec nous mais c’est agréable de profiter de leur présence !
Et à terre, finalement, comme ça se passe ?
Car le lagon de Bora Bora, c’est bon, on vous en a parlé en long et en large ! Ne manquez pas d’ailleurs nos deux précédents articles à ce sujet « Bora Bora, découverte de la Perle du Pacifique » et « Que faire sur le lagon de Bora Bora depuis son voilier« .
Mais à terre, ça vaut le coup ? Est-ce qu’on a pu s’y rendre finalement ? Pas si facile en annexe, il n’y a pas beaucoup de pontons où débarquer. Grâce à nos bateaux-copains rencontrés au mouillage du Saint Régis, nous avons contourné ce désagrément. Ils ont tous une voiture, la première fois, c’est Arthur qui nous emmène à bord de son 4×4 jusqu’à Vaitape, la ville principale. Nous n’aurons pas le temps de l’arpenter en détails mais il nous fait le plaisir ensuite de rentrer par l’autre côté de l’île, nous en faisons donc le tour complet. Un bref aperçu du lagon depuis la côte et du pourtour de Bora Bora. Rien de transcendant finalement : les villages s’enchaînent, les maisons et surtout les jardins paraissent peu entretenus, on note comme un certain laisser-aller ici. Surtout si on songe à d’autres îles polynésiennes où les jardins, même perdus au fin fond des Marquises ou Tuamotu, étaient toujours impeccables, herbe coupée, arbres taillées, fleurs et fruits de tous les côtés.
Note : Alors, en ce qui concerne les maisons, c’est différent. Les habitants apportent autant, voire plus d’attention, en général à leur extérieur. La maison semble être juste un abri pour dormir dans la culture locale. Elles sont simples, ouvertes, peu aménagées, comportant le strict nécessaire. Le mobilier y est rare, on trouve l’essentiel. Parfois même, ce sont juste des constructions de pierre, de bois et de tôles. Mais jusqu’ici, nous avions toujours vu, quelle que soit la maison, un jardin attenant soigné et préservé.
Nous n’avons pas le temps de nous faire un véritable avis sur Bora Bora, il serait dommage de juger si vite. C’est juste une impression, comme si toute l’île, y compris ses habitants, s’était concentrée sur le tourisme et les grands hôtels, pour laisser de côté les propriétés de particuliers.
Nous referons un tour de l’île en empruntant la voiture d’Antonin et Mary, ce qui nous permettra de visiter un peu plus en profondeur Vaitape. On y retrouve ce même sentiment étrange, cette vive différence entre l’image de luxe que Bora Bora veut se donner, à travers ces nombreuses publicités sur son lagon, ses plages, ses bungalows sur pilotis, et ici une rue peu avenante, pas goudronnée, sans trottoirs ou presque, pleine de poussière (et de sable boueux suite aux nombreuses averses). Cela ne choquerait pas sur une autre île. Mais ici, cette rue détonne dans le cadre immaculé et paradisiaque que veut se donner Bora Bora. Surtout avec les nombreuses boutiques de luxe (joailleries, perles de Tahiti, vêtements hors de prix, etc.) qu’on trouve pourtant en ville de toute part.
Note : La rue principale était en travaux pendant notre passage, peut-être vont-ils l’améliorer.
Nous n’irons pas crapahuter plus dans les terres, pas de randonnée pour nous sur l’île principale. Elles ne sont pas mises en avant, comme à Moorea par exemple, où toute une vallée est balisée pour les randonneurs et les VTT. Ici, on peut apparemment se balader sur quelques pointes, notamment pour aller voir les canons installés par les Américains lors de la Seconde Guerre mondiale. Voire même monter jusqu’au sommet du mont Pahia ! Une sacré promenade soi-disant, vraiment difficile. Dans tous les cas, on nous a dit que les débuts des chemins n’étaient pas bien indiqués, parfois même débutants sur des terrains privés. Nous n’avons donc pas osé nous aventurer au hasard.
Bora Bora et son histoire américaine |
Tout remonte à la Seconde Guerre mondiale et plus précisément à la guerre dans le Pacifique. Cette dernière commence avec le bombardement par les Japonais de Pearl Harbor, la base américaine située à Hawaii, le 7 décembre 1941. Les Américains décident de se trouver une nouvelle place forte, judicieusement placée, et c’est ainsi qu’un grand débarquement de troupes arrive en février 1942 à Bora Bora. Ils s’installent, débarquent leur matériel, montent des canons sur les collines, construisent un aéroport sur un motu au nord, etc. le tout en étant apparemment gentiment accueillis par les locaux qui ne savaient pas vraiment de quoi ils retournaient à l’époque. Finalement, la base est prête en avril 1943 mais comme le front s’est déplacé vers l’ouest, vers les Philippines, elle n’est utilisée que pour du transport et du ravitaillement en route. Il en reste aujourd’hui l’aéroport actuel, bien pratique, ainsi que quelques canons et vestiges çà et là que nous n’aurons pas eu le temps d’aller découvrir. |
Problème moteur : obligés de se faire remorquer !
Nous sommes le 10 décembre 2019 et c’est ce qu’on appelle une journée de m***. Nous quittons le lagon pour nous rendre à Raiatea. Peut-être reviendrons-nous à Bora dans quelques mois, nous ne le savons pas encore, mais ce n’est pas le sujet. Nous sortons par la passe Teavanui, il n’y a que 3 nœuds de vent, nous continuons donc pour l’instant notre navigation au moteur.
Au moment où nous contournons la pointe sud-ouest de l’île, une longue houle se fait ressentir, faisant rouler notre bateau. Soudain, nous entendons le moteur faiblir et quelques seconde plus tard, il s’arrête net ! Après un premier coup d’œil dans la cale moteur, rien d’anormal. Damien comprend donc rapidement la cause du problème. Il ouvre aussitôt le journal de bord, pas de surprise. La trace du dernier plein de gasoil remonte déjà à un certain temps ! Il ne devait plus en rester assez dans le réservoir et la houle a finit le travail en bougeant le niveau restant, ce qui a désamorcé la pompe à gasoil. Quelle erreur de débutant ! Oublier de faire le plein…
Note : Pour notre décharge, en théorie, on doit consommer 2L/h. C’est en calculant nos heures moteur que nous pensons au ravitaillement car notre jauge n’est pas très fiable. Or, notre coque est de plus en plus sale avec le temps (même si nous essayons de la nettoyer régulièrement), nous avons donc du consommé plus, ce qui a faussé un peu nos calculs…
Heureusement, nous avons 40 L de gasoil en bidon. On laisse le bateau à la dérive, tout en restant aux aguets autour de nous. Nous nous sommes suffisamment éloignés de la barrière de corail du lagon, le vent est faible, pas de risque pour le moment. Damien s’occupe alors de transférer le carburant des bidons dans le réservoir du bateau. Il essaie de purger le circuit de l’air présent, puis de démarrer. Toujours pas de réponse. Après 15 min à pester contre l’engin, nous hissons les voiles pour tenter de revenir vers la passe de Bora Bora, à 4 milles désormais. Très peu de vent – mais également très peu de mer dès qu’on se retrouve de nouveau à l’ouest de l’île – on revient doucement, sans problème. Au moins, nous n’avons pas à nous plaindre du beau temps, le ciel est d’un bleu pur et le soleil rayonne au-dessus de nos têtes. Nous apercevons Maupiti vers l’ouest, minuscule montagne sur l’horizon. Comme si elle nous saluer, nous réconfortant dans ce moment un tantinet stressant. Vers l’est, c’est bien sûr Raiatea et Taha’a qui se dessinent nettement sur l’eau. Elles semblent d’ailleurs si proches par ce temps clair. La pureté de l’air nous permet même de distinguer le relief de Huahine, encore plus loin à l’est, encastré entre Raiatea et Taha’a. C’est le seul endroit où nous pourrons annoncer avoir vu toutes les Îles sous le Vent en même temps ! (Enfin les îles hautes bien sûr).
En revanche, avec ce vent si faible, hors de question de s’engager dans la passe à la voile ! Nous ne voulons pas risquer de nous échouer sur le récif, emportés par le courant. Du coup, nous essayons de nous rapprocher de n’importe quel bateau de pêcheur qui nous croise, dans un sens comme dans l’autre. Mais personne ne répond à nos signes de détresse. Nous repérons un bateau de plongée, amarré à un corps mort près de la passe. Il serait largement assez puissant pour nous remorquer jusqu’à la première bouée de mouillage possible. Cependant, il refuse catégoriquement de nous venir en aide, même une fois qu’il aura récupéré tous ses plongeurs. Sympathique l’entraide par ici !
Damien tente alors de joindre le JRCC (Joint Rescue Coordination Center – soit le CROSS pour la Polynésie) par VHF sur le canal 16. Mais la communication passe très mal, pas facile de nous faire comprendre et ça finit même par se terminer par plus de réponse de notre interlocuteur. Par chance, il nous reste une dernière carte à jouer : appeler nos amis de Phoenix, qui possèdent un speedboat de 60cv afin qu’ils viennent nous tirer d’affaire. Nous avons longuement hésité à leur demander ça, ils habitent complètement à l’opposé de l’île, c’est un sacré long chemin pour venir jusqu’ici.
Quelques heures après notre panne, nous voici amarrés sur une bouée devant le Yacht Club Restaurant. On avait pensé à leur téléphoner à eux aussi mais il s’avère que ce n’est réellement qu’un restaurant, rien à voir avec un Yacht Club tel que nous en connaissons. Comme à Huahine où l’un des restaurants à Fare se nomme également Yacht Club et n’en a vraiment que le nom.
Francis, le responsable des bouées sur le lagon, vient nous voir. Nous l’avions appelé juste avant Antonin, mais il ne pouvait pas non plus venir nous aider car il était occupé. Comprenant notre situation d’urgence, il ne nous fait pas payer la nuit sur bouée (et ne nous en parle même pas).
L’après-midi étant déjà bien avancée, nous laissons les problèmes pour le lendemain. Damien décide tout d’abord de faire l’entretien courant du moteur, qui avait aussi traîné un peu. A savoir, le changement du filtre et du préfiltre à gasoil. On essaie encore de purger l’air du circuit, ça ne démarre toujours pas. Il comprend que l’air est bloqué dans les injecteurs. Pour les purger, il les dévisse légèrement et nous mettons le contact. Après un bref instant, le gasoil commence à couler par les pas de vis des injecteurs, il ne reste plus qu’à bien les resserrer. Et voilà, le moteur redémarre ! Morale de l’histoire, n’oubliez pas de faire le plein de carburant de temps en temps.
Une fois soulagés de voir notre moteur fonctionner sans problème, nous partons nous dégourdir les jambes à terre. Une rapide promenade en ville, quelques courses et nous revenons sur Manwë, pressés de quitter l’île pour de nouvelles aventures. Avant tout, refaire le plein du bateau évidemment. Seulement, à la station service proche de Vaitape, problème : ils veulent garder l’original de notre papier de détaxe du gasoil, car ils n’ont pas de photocopieuse. Or, nous ne voulons pas nous séparer de notre papier ni abandonner cette procédure et prendre du gasoil plein tarif. Il nous faut donc trouver un endroit pour le faire photocopier (c’est possible dans le shipchandler situé en face du Super U) avant de revenir pour (enfin) pouvoir faire le plein.
Note : Pourquoi avons-nous un document qui nous permet d’avoir du gasoil détaxé à la pompe ? Car nous sommes considérés en transit en Polynésie française. En effet, notre bateau n’est pas papeetisé, nous avons le droit de rester 3 ans avec sur le territoire (au-delà, il faut faire une sortie dans un archipel voisin et revenir, ou payer la papeetisation – 7 % du prix du bateau). Nous avons donc une « Autorisation d’approvisionnement, pour les navires placés sous le régime de l’admission temporaire ». On peut l’obtenir dès les îles Marquises, mais c’est par le biais d’un agent et donc payant (10 000 francs). Nous l’avons fait à Papeete, à la douane, et ce fut gratuit. Le document est valide 6 mois.
En ressortant par la passe sur l’océan, avec un air moqueur – on a bien vérifié le moteur, hein ? – nous grimaçons devant la météo maussade qui s’annonce. Jamais contents ! Il faut dire que le beau ciel bleu de ces derniers jours se dissimule derrière un épais bandeau gris. Les nuages sont sombres et menaçants. Le vent souffle sans histoire, nous atteindrons vite et sans encombre le double lagon de Raiatea-Taha’a. Mais tout cela sent nettement l’arrivée de la saison des pluies…